SNBC… derrière ce sigle se cache la Stratégie Nationale Bas Carbone, elle vient de sortir, dans sa deuxième édition toute fraîche, inscrite dans la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat.
Il s’agît d’une revisite de sa première version de 2015, sortie tout droit des accords de Paris, qui visait à l’origine une réduction de 75% des gaz à effet de serre à l’horizon 2050, sur la base des émissions de 1990.
Là maintenant, on rentre dans le lourd. Le millésime 2019 nous emmène – en toute théorie – vers une neutralité carbone à l’échelle du territoire national. Tout cela pour maintenir un réchauffement climatique en dessous du seuil des 1,5° C préconisé dans le dernier rapport du GIEC.
Neutralité carbone…la vraie ?
Il semble que ce soit la vraie, oui. Là on ne vise plus un facteur de réduction mais la nullité des émissions nettes, c’est-à-dire une égalité en valeur absolue entre les émissions de la France et ses différents puits d’absorption.
Il est entendu par puits d’absorption ou « puits carbone » les sols, les forêts, les activités consommatrices de CO2 – la construction bois entre autres – et la captation qui, en majorité, reste encore techniquement à mettre au point.
Et ici, nous parlons d’émissions et absorptions « anthropiques », ou plus simplement, liées à l’activité de l’homme.

Une des grandes nouveautés, c’est que cette fois, on ne s’intéresse plus seulement aux émissions propres au territoire national qui proviennent du transport intérieur, de l’énergie, de l’agriculture, du bâtiment, de l’industrie, des déchets, mais aussi à l’empreinte carbone des consommateurs français et des acteurs économiques.
Il est intéressant d’expliquer à ce stade que si l’on veut évaluer l’impact de l’activité économique d’un pays sur le réchauffement climatique, limiter sa comptabilité carbone aux seules émissions réalisées à l’intérieur de ses frontières consiste à cacher piteusement une petite moitié des effets néfastes.
Cette attitude consiste en effet à occulter les émissions liées à la consommation des Français et des acteurs économiques nationaux, qui relève des importations et exportations de biens et de services réalisées en dehors du périmètre national. Il s’agit là d’ « émissions induite » par opposition aux émissions « propres » au territoire national.
D’ailleurs la France ne paraît plus être si bon élève que ça en « refroidissement » climatique, puisqu’en rapatriant les émissions d’importation tout en leur soustrayant les exportations, les émissions de CO2 passent en 2018 de 6,4 à 11,2 tonnes/habitant. Une situation à faire hurler de rire un exploitant de mine de charbon à ciel ouvert australien.
Dans le même esprit, la nouvelle SNBC se penche aussi sur les émissions propres aux transports internationaux entrant dans l’empreinte carbone. Et il s’agit là d’une approche ambitieuse, sachant que pour le moment, les émissions correspondantes disparaissent mystérieusement des comptes nationaux pour ressurgir dans ceux des associations internationales ad hoc. Et il n’est pas irresponsable de leur supposer une certaine inertie au démarrage dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Pour résumer, rien de plus simple, on émet moins, on capte plus, on prend tout en compte… Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Et comment on fait ?
Il faut reconnaître que la stratégie ne manque pas d’idées : pour les transports, on va du vélo, à l’avion à propulsion hydrogène, en passant par la péniche au biocarburant et le VL à 0 émission – une Tesla S pour tout le monde ? Le transport ferroviaire de marchandises semble bizarrement d’un autre temps – ringard ?
On s’attaque aux engrais azotés de l’agriculture, on encourage les nouvelles pratiques, l’agroforesterie, on s’attaque au vilain rouge des tracteurs. Le gaspillage alimentaire est fortement réduit. En logement, on se débarrasse des passoires énergétiques, du charbon qui produit encore un peu d’électricité, du fuel. On isole tout ça comme il faut.
La gestion forestière est largement améliorée, et étendue comme booster de puits carbone. On encourage le bois, comme moyen de stockage CO2, dans la construction.
Pour l’industrie, on aide au développement de technologies de rupture – ah oui on dit « disruptive », on développe la captation de CO2, on favorise l’économie circulaire, le recyclage.
Bien que plutôt dé-carbonée grâce au nucléaire, la production d’énergie nationale n’échappe pas à la diète compte tenu de ses pics de production hivernaux gourmands en fossile. On encourage la sobriété et l’efficacité énergétique – et un peu de renouvelable et de biomasse pour se donner bonne conscience et faire plaisir à des petits hommes verts.
Chose étonnante, il semble que le mot « nucléaire », un miracle de plus de la novlangue, ait totalement disparu de la stratégie. Un sujet clivant glissé sous le tapis n’existe plus sans doute.
Au bout de la chaine, la gestion des déchets, dont on améliore la collecte, tout en favorisant l’écoconception et puis toujours un peu d’économie circulaire.
Enfin, pour l’empreinte carbone, on tarifie les gaz à effet de serre dans les accords commerciaux, on consolide les normes environnementales au niveau européen et international – tout en évitant les foudres de l’OMC.
Il ne s’agit pas là de rentrer dans les données chiffrées de chaque secteur d’activité. Pour amener un simple ordre d’idée, la SNBC vise une division par 5 des émissions de gaz à effet de serre, les puits carbone nationaux compensant le reliquat.
Un peu de finance verte là-dessus, de la compensation carbone, de la recherche, un peu d’éducation, de formation, d’urbanisme et hop, le tour est joué, chaque secteur d’activité voyant ses émissions baisser progressivement vers l’horizon 2050, et pile à l’objectif souhaité. Respect.

Et le pognon, on le trouve où ?
Sur le papier tout est clair. On sait d’où on part, on connait l’objectif, on a des tas de jolies courbes qui piquent du nez et des tas d’outils. Tous les paramètres ont enfin été passés en revue. Rien n’a été laissé au hasard.
L’objectif est clair, ambitieux, il a le mérite d’exister, il est même plus que temps qu’il existe d’ailleurs.
Alors qu’est-ce qu’on attend ?
Déjà, il y a quelques inconnues qu’il semblerait opportun de connaître avant de crier victoire.
D’accord, on va affecter quelques milliards à l’affaire. Il s’agit, toujours dans le cadre de la SNBC, en complément des 46 milliards annuels atteints en 2018, de réaffecter entre 15 et 18 milliards annuels supplémentaires les 4 premières années, entre 32 et 41 milliards supplémentaires les 4 années suivantes, et ainsi de suite. On peut noter la précision de ces estimations. Personnellement, je trouve qu’un ordre d’idées aurait suffi mais bon…
Mais là, on parle d’un arbitrage des flux financiers publics et privés, portant sur des investissements qui auraient de toute façon eu lieu. Le tout étant d’orienter ces flux plutôt vers les activités favorables au climat que vers celles qui lui sont néfastes. Il semble donc que cela ne coûte rien. Etrange pour un péril auquel l’humanité n’a encore jamais été appelée à faire face.

Prenons complètement au hasard l’exemple d’une petite pandémie mondiale – par une main innocente comme aime à le dire mon collègue Stéphane – pandémie mondiale qui, précisons-le, est un péril ridicule en comparaison des effets d’un réchauffement climatique, et son futur lot de guerres, déplacements de populations, famines, pandémies (et oui, aussi) et catastrophes naturelles.
A l’issue de deux semaines de confinement, l’état Français parvient à débloquer 45 milliards d’euros, puis 100 milliards au bout d’un petit mois. Et tout ça juste pour soutenir les entreprises françaises, en évitant surtout les trésoreries à 0€, et à se porter garant pour les crédits accordés à hauteur de 300 milliards.
Aussi, l’INSEE estime provisoirement l’effet du confinement à une perte de 35% de l’activité économique. Pour un PIB annuel de 2400 milliards et on va dire deux mois de confinement, un rapide calcul de coin de table nous donne 140 milliards de pertes d’activité, sans même prendre en compte un redémarrage de l’économie qui ne pourra être que progressif.
Les ambitions de la SNBC en matière d’investissements « verts » favorables au climat ne semblent-elles pas légèrement sous dimensionnées face au péril du réchauffement climatiques?
Y’aurait comme un défaut…
Bien que la SNBC définisse très précisément les objectifs de diminution à atteindre pour l’ensemble des secteurs d’activité sur le périmètre national, ce n’est malheureusement pas le cas pour les émissions liées à l’empreinte carbone des français et des acteurs économiques. Aucun objectif pour 2050. Seules les quelques pistes de réduction évoquées plus haut sont proposées. Importations, exportations, que doit-on avoir en ligne de mire ? Aucune idée.
Et le tourisme international, dont le pays dépend officiellement à hauteur de 7% de son PIB ? Y-a-t-il une proposition de prise en compte des émissions ? Non. Qu’en est-il de nos chers visiteurs du Louvre, de Disney Land, du Mont Saint Michel ? Leurs déplacements internationaux sont-ils pris en compte ? Non, le soin en est laissé à l’organisation de l’aviation civile internationale et à son impartialité. Question de périmètre.
Et qu’en est-il de la fameuse tarification carbone ? Tarification carbone qui n’est autre qu’une fiscalité supplémentaire destinée, comme son nom l’indique, à pénaliser les activités néfastes au climat tout en finançant celles qui lui sont favorables. Il s’agit là d’un outil très adapté à la prise en compte des émissions dues à l’empreinte carbone des français et des acteurs économiques, puisque techniquement, elle est facilement applicable au commerce international. Economiquement, politiquement et diplomatiquement, il s’agit là d’une autre paire de manches.
Il est fort regrettable que la SNBC ne se limite qu’au simple énoncé de cette tarification, sans qu’aucune ébauche de quantification ne soit entreprise.
On pourra noter aussi qu’aucune intervention sur la fiscalité actuelle, encore très favorable aux énergies fossiles, n’est d’ailleurs proposée, quid de la (non) taxation des carburants aériens, de la récupération de TICPE par le transport routier, de la TVA sur véhicules de société de la taxation du gaz naturel, de l’électricité ?
Là où le bât blesse
Quel va être l’impact de cette nouvelle mouture de la SNBC ? En l’absence de toute volonté politique sur le sujet, on ne peut que regretter l’inefficience de sa version de 2015. Ironiquement, sa version 2019 a maintenant pour ambition de reporter le budget carbone 2015/2018 sur les budgets suivants. Qu’en sera-t-il du budget 2019/2023 ? La même chose ? Et ainsi de suite jusqu’en 2050 ?
Finalement, le plus embêtant, c’est qu’on ne sait pas comment ça marche. La clé de contact, qui l’a ? Qui a ce pouvoir ? Qui va convaincre tout le monde ? Quid de l’esclave de la pub qui veut à tout prix son Iphone XI à moins de 1500 euros, de l’agriculteur qui essaie de se sortir un SMIC de ses 60 heures hebdomadaires, du capitaine d’industrie qui surveille ses stock-options, de l’infirmière rurale qui parcourt ses 80000 km annuels de départementales, du cadre essoré qui veux se vider la tête à l’autre bout du monde, de l’emprunteur qui rembourse sur 30 ans son pavillon à 40 km de son usine, du rentier, du promoteur, du demandeur d’emploi, de l’enseignant, de l’artisan, du patron de PME, de l’artiste, du retraité, du gilet jaune ?
Et qui va renoncer à quoi ? Tout va-t-il se faire dans la joie et la bonne humeur d’une croissance annuelle de 2% pendant 30 ans ?
Il est difficile de croire à tel miracle, malgré l’espoir naïf de grandes innovations « disruptives », de technologies hyperloop, de voitures autonomes et moult applications toutes plus géniales les unes que les autres.
On ne peut pas retirer à la SNBC sa bonne foi, car elle définit assez fidèlement l’objectif à atteindre si l’on veut garantir à nos successeurs un environnement à minima « vivable », c’est-à-dire un réchauffement climatique limité à 1,5°C.
Mais tout reste encore à quantifier sur les moyens. Il y a des idées, certes, mais seulement des idées. Et ce qui manque par-dessus tout, c’est une vision dans laquelle la grande majorité de la population puisse se retrouver, un plan défini, quantifié, qui explique clairement ce qu’on a à y gagner, et surtout ce qu’on a y perdre aussi, sans se voiler la face. Ce plan demandera hélas beaucoup plus de moyens que ceux qui ont été entrepris jusqu’à maintenant pour simplement retranscrire à l’échelle nationale les recommandations du GIEC.
Des trésors d’ingéniosité ont été déployés pour justifier des guerres. Un véritable branle-bas de combat médiatique et des mesures de confinement inédites se chiffrant en centaines de milliards d’euros pour l’économie sont actuellement en cours dans le cadre d’une crise sanitaire qui aura, à l’échelle du territoire, un effet comparable à la canicule de 2003 et ses 40000 morts.
Les conséquences d’un réchauffement climatique seront malheureusement bien plus désagréables que cela. Bien plus. Il est encore possible d’anticiper, contrairement au COVID19, mais pour combien de temps?