Le contexte global

Abordons le sujet avec énergie

Partons d’un constat simple : ma voiture peut rouler environ 15 km à 90 km/h avec un litre d’essence, du bon vieux SP95- E10 avec sa petite dose d’éthanol comme on en trouve dans toutes les stations service du coin. Cela dépend de ma conduite, de la pente, de l’âge du capitaine et de tout un tas d’autres facteurs plus ou moins compliqués, mais l’ordre de grandeur est là. Cette voiture pèse environ une tonne et demie, et me fournit une atmosphère intérieure agréable (chaleur ou fraîcheur, musique douce, lumière tamisée…). Un litre, 15 km, du confort.

La voiture à énergie manuelle : lente et inconfortable.

Imaginons que je tente de faire la même chose avec la force de mes muscles. Je suis plutôt costaud, un peu entraîné (quoique moins en ces temps de confinement, mais faisons comme si) et je n’ai pas peur de l’effort. Néanmoins, pousser une tonne et demie sur roulettes pendant 15 km, cela va être difficile. Beaucoup moins cela dit que d’atteindre 90 km/h. Et puis le confort ne va pas être tout à fait le même.

Ce que je viens de vous expliquer en quelques mots, c’est que l’énergie que nous tirons de notre environnement est beaucoup plus performante que celle que nous pouvons fournir avec notre travail physique.

Et alors ?

Et alors, depuis que l’on a découvert le moyen d’utiliser cette énergie contenue dans notre environnement, nos possibilités d’action se sont grandement élargies. Trains, avions, bateaux, engins de chantier, bâtiments, navires, routes… tout un tas de choses qui nous permettent d’avoir une vie bien différente de celle de nos ancêtres pas si lointains. Il suffit de regarder comment on vivait il y a tout juste deux cent cinquante ans (soit trois fois notre espérance de vie moyenne d’aujourd’hui et environ dix fois celle de l’époque) pour s’en convaincre.

Et ces moyens d’action se sont tellement élargis et diversifiés que c’est devenu la pierre angulaire de notre système productif. Le travail des humains consiste de plus en plus à conduire des machines beaucoup plus puissantes qu’eux plutôt qu’à fournir du travail mécanique.

Un léger écart de performances entre la machine et son conducteur…

Tant mieux, on se fera moins mal au dos

Ce n’est pas entièrement faux, néanmoins il y a des effets secondaires à ce remède.

Le premier est que nous sommes très dépendants du travail fourni par nos machines, et que ces machines nécessitent d’ingurgiter une source d’énergie qui convient à leur régime alimentaire pour fonctionner. Présenté autrement, le conducteur de rouleau compresseur sera heureux et épargnera son dos tant que son engin aura du bon gasoil à manger, parce que s’il tombe à court de ce précieux carburant, il ne faudra pas compter sur ses petits bras musclés pour faire le travail à la place de sa machine. Et c’est la même chose pour l’ensemble de notre système de production.

Le second est que nous avons un peu oublié de prendre en compte le premier dans notre vision économique du monde. En effet, on nous apprend toujours à l’école que pour faire fonctionner un système économique, il faut du capital (des outils, des machines, des infrastructures) et du travail humain. A partir de cela, on fabrique des biens de consommation, un peu de capital et c’est reparti pour un tour tant qu’on a du capital et du travail humain. Nos grands penseurs se sont tant échinés à réfléchir à l’exploitation de l’homme par l’homme (pour le capitalisme, le communisme étant heureusement l’exact inverse), sur le fait qu’il fallait que les états régulent ou non les marchés, et quelques autres points de détail, que nous en sommes toujours dans ces réflexions.

Le monde vu par les économistes

Et que l’on oublie que tout notre bazar économique a besoin d’un peu plus que cela pour fonctionner.

En effet, il va bien falloir les nourrir, ces fameuses machines (je laisse volontairement de côté les humains, il faut les nourrir aussi mais c’est un autre débat – voir un peu plus bas à ce sujet). Donc j’ai besoin d’énergie pour faire tourner mon système économique.

Et puis, pour fabriquer des objets à vendre, nous allons avoir besoin de matériaux. Malgré nos progrès récents en impression 3D on n’arrive toujours pas à fabriquer de la matière ex nihilo, dommage ! Tant pis, extrayons-la de notre environnement en creusant des grands trous dans le sol (qui s’appellent des carrières), en transformant ces matériaux en objets (ce qui réclame au passage de l’énergie pour les engins d’extraction, les camions pour le transport, les usines pour transformer, etc.).

Donc, en entrée de notre système : capital, travail, énergie et matières premières.

Et n’oublions pas non plus que cela génère tout un tas de choses dont on n’a ni besoin ni envie et qu’il ne reste plus qu’à entreposer dans un coin, cela s’appelle des déchets et génère de la pollution. Voyons donc notre schéma complété :

Le monde avec quelques paramètres complémentaires pas inutiles

Et c’est grave, docteur ?

Tant que l’on n’est que quelques centaines de millions sur terre et que l’on a encore de vastes étendues à explorer, pas vraiment. En revanche, quand on s’approche des limites de disponibilité des sources d’énergies, des matières premières et des exutoires pour la pollution (c’est-à-dire de notre capacité à la mettre dans des endroits dont elle ne déborde pas et sans impact sur notre qualité de vie) on peut commencer à rencontrer des difficultés.

Tout notre fonctionnement économique est basé sur le paradigme de la croissance, qui est bien ancré dans la tête de nos dirigeants, journalistes, chefs d’entreprise, économistes, ainsi que de l’électeur moyen. Ce dernier, qui ne comprend pas forcément tout à ce fonctionnement décidément bien compliqué, est néanmoins certain d’une chose : tant qu’il y a de la croissance il va pouvoir conserver son boulot, avoir des augmentations et se payer plein de jolis objets qui vont faire de lui un homme heureux. Et s’il n’y a plus de croissance on va être mal barrés.

Quelques exemples de paradigmes bien ancrés dans nos cerveaux d’homo aeconomicus

Comme on vient de l’expliquer, cette croissance repose sur celle de la production industrielle fabriquant les choses à vendre, qui repose sur les machines, qui reposent sur l’énergie. Si l’un des ingrédients de cette chaîne vient à ne pas pouvoir suivre le rythme souhaité, c’est toute la chaîne qui est bloquée.

Chaque paramètre joue le rôle d’un goulet d’étranglement pour les autres.

Les êtres humains sont programmés pour vouloir toujours plus, au cri de « trop c’est jamais assez ! », il est donc peu à craindre que leur envie de perpétuer ce mode de fonctionnement ne périclite. Si limitation il y a, elle devra venir d’un facteur extérieur à l’être humain. Les machines sont de plus en plus nombreuses et performantes, partons sur l’hypothèse qu’elles ne poseront pas de problème de disponibilité et qu’au pire si on n’en a pas de nouvelles, il suffit de faire tourner les existantes un peu plus pour produire plus.

Energy drink

Energie(s)

Reste l’énergie. Assez parlé philosophie, passons donc à quelques chiffres.

Comme le voit sur le graphique ci-dessus, notre énergie provient de sources fossiles à 82 %. L’immense majorité, donc.

Vous avez dit fossile ?

Que ce soit du gaz, du charbon ou du pétrole, nos sources d’énergie fossiles sont essentiellement constituées de chaînes carbonées. En gros, cela ressemble à :

Les chaînes sont plus ou moins longues selon le produit, et on les trouve souvent mélangés (un pétrole par exemple n’est jamais composé d’un seul type de molécules), ce qui donne lieu à tout un tas de classements et rend les chiffres de production difficiles à exploiter. Ce sont des combustibles redoutables, puisqu’en les soumettant à un peu de chaleur en présence d’oxygène ils font :

En dégageant beaucoup de chaleur. Cela nous a permis de créer plein de jolies machines, allant de la locomotive à vapeur à l’avion supersonique, toutes ayant pour point commun d’exploiter la chaleur dégagée par la combustion fossile.

Bref, tant que l’on en a tout va bien et nous disposons de suffisamment d’énergie pour alimenter notre économie en croissance. Et combien de temps va-t-on en avoir suffisamment ? La réponse est : pas longtemps.

En effet, la situation sur le pétrole est tendue. Nous ne rentrerons pas plus en détails sur ce point ici, en attendant que nous vous en disions plus vous pouvez vous référer aux œuvres de Jean-Marc Jancovici et Matthieu Auzanneau, au site de l’ASPO, et également à celui de l’actuaire Gail Tverberg qui traite de manière intéressante du lien économie/pétrole aux limites.

Prévisions de l’Agence Internationale de l’Energie

Nous sommes donc entrés dans une période où l’énergie d’origine fossile va commencer à être un facteur limitant de notre croissance économique. Qu’on le veuille ou non et quoiqu’en disent les économistes.

Parlons du temps qu’il va faire

Climat

Le climat quant à lui va subir un petit problème lié à la pollution que nous engendrons avec nos énergies fossiles. Il n’aura pas échappé au lecteur assidu que notre réaction chimique de combustion va libérer à la fois des atomes d’eau (ce qui n’est pas un gros problème) et de dioxyde de carbone. Ce dernier est un gaz à effet de serre qui va contribuer à nous installer une température d’ambiance plus élevée que souhaitable.

Là encore le sujet est parfaitement documenté par ailleurs et nous vous renvoyons aux études faites par le GIEC sur le changement climatique : ipcc.ch. Sachez simplement que nous nous apprêtons à faire subir à notre climat un changement aussi radical que la dernière glaciation, mais cent fois plus vite, en cent ans au lieu de 10 000. Essayez de rouler cent fois plus vite que d’habitude avec votre voiture, vous verrez que cela fait une différence !

Et léger détail il faudra rouler en marche arrière, puisque la perturbation climatique que nous induisons va en sens inverse d’une glaciation.

L’Europe il y a 20 000 ans. L’amiboïde bleu clair en haut c’est de la glace, les chiffres en donnent l’épaisseur en mètres.

Le cœur du problème, ce n’est pas que nous allons élever la température de quelques degrés : si on prend la température qu’il fait dehors au moment où vous lisez ces lignes, et que vous ajoutez un degré ou deux, ce n’est pas bien méchant.

Une question d’équilibre

En revanche, ce qui est plus méchant c’est que l’équilibre d’un climat, comme celui d’un écosystème, est quelque chose de très fin et subtil. Et va être très sensible à de faibles variations de paramètres, qui en réalité recouvrent de colossales quantités d’énergie. Imaginez la quantité qu’il en faut pour réchauffer toute l’eau contenue dans les océans ne serait-ce que d’un dixième de degrés (cela se calcule, il y a des données à ce sujet dans les rapports du GIEC qui donnent le tournis).

Les océans emmagasinent la plus grosse partie de la chaleur supplémentaire, ce qui va conduire à plusieurs effets secondaires indésirables. La dilatation thermique de l’eau va lui faire prendre plus de place donc arriver plus haut sur les terres (ce que l’on appelle couramment montée du niveau de la mer). L’augmentation de la température de l’eau va l’amener à absorber proportionnellement moins de CO2 qu’auparavant, ce qui va en laisser plus pour l’atmosphère, et renforcer l’effet de serre. Au passage, l’eau va devenir plus acide à cause de l’absorption du CO2 plus présent dans l’atmosphère (elle en absorbe toujours, mais il y en a plus pour l’atmosphère et moins pour elle) ce qui va perturber tous les organismes marin qui ont une carapace ou des coquilles.

Le changement de température va également perturber les courants marins qui reposent sur des échanges convectifs entre profondeur et surface et ont un impact énorme sur le climat des terres (Gulf stream, El Niño…). Bref, petit changement de température moyenne, grands effets.

Et n’oublions pas qu’une élévation de température va s’accompagner d’une forte recrudescence des phénomènes extrêmes. En augmentant le contraste de température entre les couches basses et hautes de l’atmosphère, nous aurons droit à des tornades, tempêtes, et autres ouragans plus forts et plus fréquents. On peut aussi évoquer les phénomènes de sécheresse pour lesquels le bassin méditerranéen est aux première loges, et dont les étés récents viennent de nous montrer un petit aperçu de ce dont il pourrait s’agir.

Et si j’ai Netflix et la clim ‘ ?

Et même à l’heure du tout numérique, le climat a une importance primordiale. Tout d’abord pour nous nourrir : les plantes poussent à l’extérieur et dans un contexte climatique donné, les animaux dont les hommes se nourrissent mangent des plantes, et les hommes aussi en mangent. Si on n’en a plus, on meurt de faim, c’est aussi simple que cela, et de manière moins abrupte (quoique) on pourra se référer aux quelques problèmes collatéraux qu’a entraîné en 1789 un climat peu clément.

On peut aussi penser aux zones qui risquent de devenir inhabitables en conjuguant températures élevées et humidité empêchant le refroidissement naturel du corps humain, aux nuages de sauterelles en Afrique, dont on parle assez peu mais qui font des ravages ces temps-ci, et de plein d’autres joyeusetés.

Liaisons dangereuses

Qui avec qui ?

Depuis le début de ce billet, nous avons parlé énergie, puis climat. Mais pourquoi les deux dans le même article, d’ailleurs ? Il y a peut-être une bonne raison, non ?

La raison, la voici :

C’est un graphique extrait du dernier rapport d’évaluation du GIEC (AR5 de 2014). Il nous montre l’évolution de l’anomalie de température moyenne en fonction de la quantité de CO2 émis dans l’atmosphère par l’humanité. Les courbes RCP correspondent aux différents scénarios étudiés (il faudrait un article complet pour les détailler – peut-être qu’il apparaîtra dans un avenir pas trop lointain, c’est un sujet intéressant). Ce qu’il faut en retenir : plus on émet de carbone dans l’atmosphère, plus la température moyenne augmente. C’est quasi linéaire, en revanche les effets ne le sont pas du tout (un exemple : dans son rapport de 2019 expliquant la différence entre 1,5 et 2°C d’élévation de température, le GIEC évalue la différence entre la quantité de personnes touchées par l’élévation du niveau des mers dans chaque cas à quelques centaines de millions…).

Et ce carbone, sous forme de CO2, provient très majoritairement de notre utilisation d’énergie sous ses diverses formes, voir à ce titre le petit rappel chimique plus haut. Maintenant faisons quelques liens de cause à effet.

Et comment ?

Notre système économique a besoin d’énergie, qui est majoritairement issue de sources fossiles. L’énergie fossile émet du CO2 qui réchauffe le climat. Si cette énergie vient à manquer, notre système économique a de gros problèmes. Si cette énergie ne vient pas à manquer, notre climat a de gros problèmes. Et même si elle vient à manquer notre climat a de gros problèmes parce que nous sommes déjà allés trop loin, et chaque plus loin a un impact énorme…

Bref, nous sommes bien engagés sur une voie qui nous prépare pour les années à venir un système économique qui ne sait plus fonctionner par manque de pétrole et un climat qui nous amène de désagréables surprises par excès d’émissions de CO2. Le soleil du lendemain de la fête de l’énergie à gogo risque de se lever sur une sacrée gueule de bois !

Et si on n’a pas envie ?

Si on n’a pas envie d’un lendemain qui déchante, peut-on agir ? Et comment ?

Le constat est assez simple, il faut limiter notre utilisation d’énergie fossile. Ainsi, moins d’émissions de CO2 (ce que l’on appelle couramment dans les médias le zéro émission, c’est en réalité un niveau d’émissions que l’environnement sait accepter sans tout chambouler – environ un tiers de ce que nous émettons en 2020), et plus de danger pour notre économie. Vu comme cela, c’est assez simple.

Cependant, la manière dont notre système économique fonctionne fait que la relation entre énergie fossile consommée et chiffre d’affaires est très forte, ce qui se voit très bien sur le graphiques ci-dessous. Il y a eu nombre d’études très sérieuses sur le sujet qui détaillent cela, mais de manière simple on peut considérer que l’énergie agit comme un facteur limitant du PIB : pour produire une quantité donnée de PIB, j’ai besoin d’une certaine quantité d’énergie. Si celle-ci n’est pas disponible, elle va m’empêcher de faire ce que je veux avec mon PIB, voire pire le contraindre à baisser pour des raisons bêtement physiques. Un exemple simple : j’ai une voiture qui consomme 10 l/100 km et je veux rouler 1000 km. Si j’ai 110 litres d’essence tout va bien, je peux même faire plus, en revanche si j’en ai 90 je ne pourrai faire que 900 km, quoi que je fasse (si vous envisagez les 100 derniers en poussant c’est que vous avez raté le début de l’article). Le PIB c’est un peu similaire : si on a de l’essence on va où l’on veut, et si on en manque on tombe en panne sèche.

Coévolution du PIB et de l’énergie (tiré du blog de G. Tverberg – Un monde d’énergie)

La chute

De ce fait, baisser mes émissions de gaz à effet de serre va me conduire à baisser d’autant mon chiffre d’affaires toutes choses égales par ailleurs. Qui a dit « cela est embêtant » ?

Ajoutons que si cela ne se fait pas de manière dirigée par nous, le manque de combustible fossile risque de le faire de lui-même et sous une forme qui pourrait être très brutale parce que non prévue et non pilotable par notre économie (une grosse récession par exemple).

En parlant de non pilotable, il est intéressant de voir l’effet que peut avoir un bête petit virus en forme de boule à piquants sur notre système économique. Et on ne parle pas d’un virus méchant, du style un Ebola aéroporté qui tue 90% de ses victimes et avec une période d’incubation contagieuse de trois semaines. Non, juste un truc dangereux mais pas du tout apocalyptique. Et il suffit pour mettre à mal notre système économique sur toute la planète alors qu’en apparence celui-ci allait très bien. Imaginez alors la fragilité de ce système face à une cause essentielle telle que le manque d’énergie… et jetez un coup d’œil sur ce qu’il s’est passé dans les années 1970, l’ampleur du choc pétrolier et de ses conséquences. Choc qui a fait suite au pic de production de pétrole aux Etats-Unis, d’ailleurs. Cela pourrait être une coïncidence, mais ce n’est probablement pas le cas.

Vaste programme

Et maintenant que l’on a posé le décor d’ensemble, nous allons réfléchir à comment nous allons faire avec pour nous adapter et tirer notre épingle du jeu.

Par où commencer ?

L’équation est très compliquée : comment réduire notre consommation d’énergie fossile pour en être moins dépendant et limiter notre impact sur le climat sans faire péricliter l’activité économique qui nous fait vivre aujourd’hui ?

Comme sur les bancs de l’école en classe de mathématiques, il va falloir commencer par poser les données de base du problème.

Expliquer & éduquer

Et comme tout le monde parle de transition énergétique et écologique et sociale sans trop savoir de quoi il s’agit, il va falloir commencer par faire preuve de pédagogie. Tout le monde est a priori d’accord pour baisser son empreinte environnementale et rendre son entreprise plus solide face aux crises à venir, mais encore faut-il savoir de quoi il retourne et par où commencer. C’est un peu l’objet du texte qui précède d’ailleurs.

Compter

Une fois la prise de conscience acquise, il est temps de passer à la recherche de moyens d’action. S’il y a une chose que l’on sait bien compter dans une entreprise, ce sont les Euros (il en va de même pour les Francs, les Brouzoufs, les Dollars et toute forme de monnaie), puisque la comptabilité est tout spécialement dédiée à cet exercice. Hé bien maintenant, il va falloir compter également, et d’une manière un peu similaire, les kilogrammes de gaz à effet de serre. La monnaie utilisée est le kilogramme d’équivalent CO2, qui permet d’avoir l’équivalent d’une monnaie universelle, avec ses taux de conversion qui prennent en compte les spécificités de chaque type de gaz (par exemple le méthane a un fort effet de serre mais reste moins longtemps dans l’atmosphère donc on pondère son effet en fonction de sa durée effective de présence – et cela génère tout plein de querelles de spécialistes très pointues et intéressantes, mais ce n’est pas notre sujet).

Tout ça pour dire que l’étape suivante est la réalisation d’un bilan carbone. Sans trop rentrer dans le détail, cet outil permet de comptabiliser les flux de gaz à effet de serre liés à l’activité de l’entreprise avec une excellente idée qui est d’intégrer les émissions indirectes dans ses scopes de mesures. Ainsi, si vous fabriquez des pompes à essence (exemple choisi au hasard par une main innocente), vous allez utiliser un peu d’électricité, d’acier, de caoutchouc, de matières plastiques, quelques composants électroniques… bref rien de bien méchant. Soyons fous, imaginons que l’on arrive à une fabrication bas carbone de nos pompes en divisant par cinq leur impact : on est en avance de trente ans sur tous les objectifs de réduction d’émissions au monde !

Mais, car il y a un mais, c’est oublier à quoi vont servir ces produits. En effet, leur utilisation future va générer énormément de gaz à effet de serre et est extrêmement liée à l’énergie fossile. Donc leur impact sur le climat dépend beaucoup plus de leur utilisation future que de leur fabrication et si on ne prend pas en compte ce point-là, on va prendre de mauvaises décisions. C’est par ailleurs ce que nous pays occidentaux avons fait depuis les années 90 en délocalisant notre production industrielle : nos émissions de GES ont baissé légèrement pendant que celles de la Chine ont littéralement explosé. Nous avons déplacé les émissions au lieu de les diminuer, ce qui n’empêche aucunement quelques politiciens de s’autoféliciter.

Bref, le bilan carbone permet de prendre en compte cet aspect-là et d’éviter des erreurs stratégiques. Dans le cas de nos pompes à essence il va mettre en évidence le fait que le problème provient très majoritairement de l’utilisation future des produits, c’est donc là-dessus qu’il va falloir se pencher en priorité et non sur la fabrication.

Une fois qu’on a compté nos gaz (ce n’est peut-être pas l’expression la plus heureuse que j’aie utilisée dans ces lignes, à la relecture…), on a l’énoncé de notre problème de maths : un objectif, des données. Reste à définir et mettre en place une stratégie.

Organiser et planifier

L’avantage d’avoir des données c’est que l’on peut les utiliser pour faire des scénarios et évaluer leur impact. La méthode consiste à imaginer un scénario de réduction (par exemple : j’offre une trottinette électrique à tous mes salariés pour qu’ils ne brûlent plus du gasoil dans leurs voitures) et en évaluer l’impact sur la période de mise en application. En commençant bien entendu par les plus gros postes d’émissions pour avoir au plus tôt un effet le plus important possible.

N’oublions pas que l’on vise un double effet avec la décarbonation, le premier étant de préparer l’entreprise à des difficultés liées aux énergies fossiles et le second de limiter son impact sur le climat.

Et comme les énergies fossiles commencent déjà à poser problème (à l’heure où j’écris ces lignes elles ne sont pas assez chères pour les producteurs et ce n’est pas une bonne nouvelle à moyen terme même si je suis ravi de faire mon plein à bas coût), il faut agir rapidement. Souvenez-vous de la grogne des entreprises de travaux publics à l’annonce de la nouvelle fiscalité sur gazoles non routiers… qui va arriver de toute manière. Ceux qui auront investi dans des engins consommant moins (il en existe désormais des hybrides) ou réorienté un peu leur activité pour moins dépendre du carburant fossile vont tirer leur épingle du jeu pendant que les autres continueront à grogner.

Cela s’appelle un avantage concurrentiel : et se dire « j’ai bien fait d’anticiper » et continuer à travailler convenablement pendant que les autres se grattent encore la tête en se demandant par quel bout aborder la situation n’est-il pas une grande satisfaction pour tout dirigeant ?

Et ça sert à quoi de se décarboner ?

En première approche, ce n’est pas hyper sexy : cela coûte des Euros et en plus on se crée de nouvelles contraintes. Pas entièrement faux, mais le bon choix est-il de se prémunir face à un risque identifié, ou de ne pas le faire et de subir ensuite quand le risque s’est réalisé?

Un exemple : pour gagner du temps en voiture, je ne mets pas ma ceinture, cela m’économise quelques secondes au démarrage et à l’arrivée. Vous trouvez cela raisonnable sachant que l’on risque d’avoir un jour un accident ? Avec une variante : j’achète une voiture sur laquelle je fais retirer les ceintures de sécurité pour la payer moins cher. Malin ou pas malin ?

Présenté d’une autre manière, il s’agit aujourd’hui de s’imposer des contraintes supportables pour que les contraintes futures ne soient pas insupportables. Ou de mobiliser quelques moyens disponibles aujourd’hui pour se préparer à un avenir qui ne sera en aucun cas la répétition du passé que nous connaissons bien.

Alors, on se lance ou on attend que le reste du monde l’ait fait avant nous ?

Poster des tags